Comment accueillir la parole des familles en psychiatrie ?, Laurent Cochonneau , 1/12/2015 Hébécrevon (50)

Intervention au congrès Croix Marine du 01 Décembre 2015 :

Laurent Cochonneau (psychologue du pôle de psychiatrie générale de Saint-Lô, formé à la thérapie familiale systémique) et Sophie Ryckeboer (excusée)

Il ne va pas de soi d’entretenir de bonnes relations entre familles de patients et soignants.

  Pour le comprendre, il faut revenir sur l’histoire de notre discipline.
Classiquement on situe la naissance de la psychiatrie au moment de la révolution française. A cette époque, le fou devient un citoyen au même titre que tout un chacun.
L’émergence de la psychiatrie s’appuie sur deux figures de proue: Philippe Pinel le bienfaiteur qui a libéré les aliénés de leurs chaînes, puis à sa suite son élève et successeur Jean-Etienne Esquirol.
Sous leur impulsion le «fou» devient un sujet détenant une part de raison. Philippe Pinel est indissociable de son fidèle surveillant Jean-Baptiste Pussin considéré comme le père spirituel de l’infirmier en psychiatrie. Pinel fait de la maladie psychique un problème d’entendement, Esquirol y ajoute les passions comme principaux symptômes de l’aliénation.
Ce dernier fait parti des inspirateurs de la Loi du 30 juin 1838, qui organise l’hospitalisation dans les établissements publics et privés ainsi que la protection des malades et de leurs biens. Elle induit de grands principes tels que :
– des conditions d’accueil décentes
– la mise en place de mesures de protections sociales
– la réglementation sur les circonstances de placements de patients en vue d’éviter les abus
– la fin des pratiques « barbares » réservées aux aliénés en vue de les soigner
Cette Loi ne sera remplacée que par celle du 27 juin 1990.
En 1902, Herr Kraepelin identifie deux importantes formes de troubles psychiatriques dont il estime qu’elles ont une origine génétique, alors même qu’il n’existe aucune théorie scientifique ou connaissance sérieuse sur l’hérédité.
A partir de 1937, le terme d’asile disparaît au profit de l’hôpital psychiatrique, mais le malade psychiatrique ne remplace l’aliéné qu’en 1958.
Ce n’est qu’à partir de la fin du XIXème siècle qu’apparaissent les psychothérapies.
Avant que les patients n’accèdent à un véritable statut de sujet et que l’idée de les soigner n’intervienne, la société est plutôt indifférente au sort des familles situées en arrière plan du malade.
L’opinion des premiers aliénistes n’est guère favorable aux familles. Pinel exprime une opinion assez partagée pour son époque, je le cite: «il est si doux en général pour un malade d’être au sein de sa famille et d’y recevoir les soins et la consolation d’une amitié tendre et compatissante, que j’énonce avec peine une vérité triste mais constatée par l’expérience la plus répétée, la nécessité absolue de confier les aliénés à des mains étrangères et de les isoler de leurs parents».

  Jean-Martin Charcot prend encore moins de gants en affirmant: «Il faut séparer les enfants des adultes, de leur père et mère, dont l’influence, l’expérience le démontre, est particulièrement pernicieuse».
A la suite, la plupart des théories énoncent que la famille du patient joue un rôle dans le maintien du symptôme.
Ainsi, dans l’introduction à la psychanalyse Sigmund Freud évoque les rapports avec l’entourage du patient dans ces termes: «En ce qui concerne la famille du patient, il est impossible de lui faire entendre raison et de la décider à se tenir à l’écart de toute l’affaire; d’autre part, on ne doit jamais pratiquer une entente avec elle, car on court alors le danger de perdre la confiance du malade qui exige, et avec raison d’ailleurs, que l’homme auquel il se confie prenne toujours et dans toutes les occasions son parti.»
Jacques Lacan développe l’idée d’une psychopathologie particulière à thème familial. Dans son texte sur les complexes familiaux dans la formation de l’individu, il écrit : « Les complexes familiaux remplissent dans les psychoses une fonction formelle : thèmes familiaux qui prévalent dans les délires pour leur conformité avec l’arrêt que les psychoses constituent dans le moi et dans la réalité ; dans les névroses, les complexes remplissent une fonction causale : incidences et constellations familiales qui déterminent les symptômes et les structures, selon lesquels les névroses divisent, introvertissent ou invertissent la personnalité. »
Les chercheurs en systémie eux vont reprendre l’idée de Freud selon laquelle les proches n’ont pas toujours intérêt à ce que le porteur du symptôme modifie sa façon d’être, à travers le concept d’homéostasie familiale, autrement dit de résistance au changement. Ils vont même pour certains définir une typologie des modèles familiaux qui prédisposent à l’apparition de symptômes, c’est le cas par exemple de Salvador Minuchin ou de Mara Selvini. En 1956, Gregory Bateson croit découvrir l’étiologie de la schizophrénie à travers le concept de double contrainte.
Les choses vont donc jusqu’à imputer une certaine responsabilité de la famille dans la maladie de leur proche. Difficile dans ces conditions d’espérer trouver un terrain d’entente avec elle.
Ce qu’il faut comprendre c’est que la résistance au changement n’est pas propre aux malades psychiques ou aux systèmes familiaux défaillants, elle existe chez tout le monde. Nous sommes tous attachés à notre névrose, et il n’existe pas de ligne de démarcation séparant les soignants des soignés sur ce plan.
Concernant la famille la chose est ambiguë, car elle souhaite être débarrassée d’un problème sans que son identité soit inquiétée. Autrement formulé, elle veut changer sans changer. C’est ce que Mony Elkaïm nomme une double contrainte réciproque.

Comme le dit Philippe Caillé, dans ce jeu complexe l’exercice consiste, pour le soignant, à définir la spécificité du système demandeur et les contenus de sa sur-logique d’appartenance pour pouvoir s’attaquer au problème posé. Il s’agit d’un processus de recherche interactive entre sytème traitant et système traité.
Mais, ce qui sans doute rend bien plus difficiles les relations soignant/famille, relève probablement plus de la façon dont nous aménageons nos rapports avec le fantasme de guérison. Là encore, il s’agit de quelque chose de très partagé.
Lorsque Jacques Lacan parle de «guérison qui intervient de surcroît», il faut y entendre que l’on diffère le moment de la guérison et non pas qu’on y renonce. La plupart des soignants se battent pour la guérison avant de se battre pour faire reconnaître et respecter le patient dans sa dimension psychique, c’est là une affaire de psychologue.
Pourquoi se considérer alors en chiens de faïence puisque nous partageons ce même fantasme de guérison du patient/parent?
Mais parce que nous échouons à le réaliser et qu’il faut bien un responsable à notre échec. Il n’est pas plus acceptable de se sentir de mauvais soignants que de se sentir de mauvais parents.
Nous souhaitons, de part et d’autre, offrir la meilleure vie qui soit. Mais souvent l’impuissance accable, la culpabilité ronge, lorsqu’il faut se résigner parfois à simplement prendre soin sans parvenir à guérir.
La logique voudrait que notre agressivité s’exerce sur le patient qui dans ce cas est l’agent de la frustration ressentie, mais alors quel parent ou quel soignant serions-nous pour lui?
Non, la plupart du temps, nous préférons entrer en alliance avec lui contre l’autre partie dont nous partageons pourtant les objectifs (la famille ou le soignant selon le côté où l’on se range).
Ce petit panel de relations entre familles et soignants peut paraître daté, mais si la société a bien changé depuis, et que la psychiatrie même, est bien différente de ce qu’elle était à son origine (découverte des neuroleptiques – Chlorpromazine par Pierre Deniker, en 1952 ; découverte des antidépresseurs – Imipramine par Roland Kuhn, en 1957 ; création de la politique de sectorisation en mars 1960), ces relations restent compliquées.

Quel problème se pose lorsque la famille et les soignants simplement s’ignorent?

Nos actions correctives peuvent s’annuler entre elles du fait du manque de concertation.
Notre crédibilité peut être émoussée par la mauvaise image renvoyée d’un côté ou de l’autre de la barrière.
Le patient peut se sentir écartelé par des enjeux de loyauté qui le lie à ceux qui prennent soin de lui.
Nous pouvons aussi passer à côté du problème.
Pendant des années, j’ai animé des groupes de paroles dans un service hospitalier accueillant des patients dits sub-aigus, fréquemment je faisais le même constat que des patients revenaient dans un contexte de crise familiale ne se réglant pas et ce en nous tenant les mêmes propos à chaque fois. Le plus souvent c’est parce qu’ils ne souhaitaient voir personne durant l’hospitalisation que la situation demeurait inchangée.
C’est là un point important, il faut bien comprendre que depuis longtemps les évolutions successives de notre système de santé ont portées sur le statut du patient. Hors, le patient est le seul élément de jonction entre le soignant et la famille. S’il s’oppose à un quelconque travail avec la famille, le soignant ne peut que tenter de le sensibiliser à l’importance de ce travail. Mais l’alliance nécessaire avec le patient rend la chose mal aisée.
Les doits du patient ont progressé en matière de possible intégration de la famille à différents niveaux de sa prise en charge, mais il possède aussi le droit de la tenir à l’écart. Les exceptions ne portent que sur des mineurs ou des majeurs protégés, et des personnes en incapacité d’exprimer leur volonté.
Si les relations entre la famille du patient et les soignants sont souvent difficiles, les relations entre un patient et sa famille ne sont pas toujours simples non plus. Rappelons-nous André Gide et sa célèbre formule « Familles, je vous hais ! ». Lorsque les familles sont acculées à servir de tiers pour que leur proche soit hospitalisé en situation d’urgence sans qu’il soit en capacité d’y consentir, lorsque pour défendre ses intérêts, ils font la demande d’une mesure de protection de type tutelle ou curatelle, il ne faut guère se faire d’illusions, les relations s’en ressentent.

Alors vers quoi faut-il tendre?

L’alliance thérapeutique est ce qui offre la meilleure chance à tous les partis.
Sur quoi pouvons-nous nous appuyer pour y parvenir ?

D’abord, sur un principe simple: comme il existe une présomption d’innocence, il devrait exister une présomption de normotypie de la famille.
Il nous faut penser la famille comme une ressource, pas comme un obstacle.
Et sur ce plan, nous en venons à évoquer le travail de Guy Ausloos, psychiatre qui enseigne à l’université de Montréal, spécialisé dans la prise en charge des adolescents.
Dans son livre sur la compétence des familles, tout en s’appuyant sur des typologies de transactions familiales dont je parlais précédemment, il souligne bien cette nécessité du travail en coopération avec la famille.

Il définit deux postulats :
a) le postulat de la compétence :
« Une famille ne peut se poser que des problèmes qu’elle est capable de résoudre »

b) le postulat de l’information pertinente
« L’information pertinente est celle qui vient de la famille et y retourne »

Face au reproche souvent fait à la famille de non-collaboration ou de résistance au changement, il explique que les familles ont souvent multiplié les rencontres avec les professionnels et quelles n’ont pas toujours été des plus plaisantes. Aussi, nous avons à faire à des écorchés vifs en état de légitime défense.

Comment modifier nos rapports avec la famille?
Il faut commencer par modifier nos représentations souvent négatives qui empêchent la mise place d’un travail en partenariat. Il faut bien considérer que nous sommes formés à repérer ce qui dysfonctionne. Et sans même nous en apercevoir nous agressons les familles. Cela étant les familles fonctionnent dans le même registre, car lorsque nous proposons une approche positive au patient, il nous est reproché de nier les problèmes et de l’entretenir dans le déni de sa réalité avec force d’arguments pour nous convaincre qu’il souffre de graves troubles.
De son côté, le soignant en les convoquant pour leur demander de changer pour le bien de leur proche, montre bien ou il situe le problème. Il y a là un sous-entendu de culpabilité implicite de la famille. Il ne faut plus voir dans la famille la coupable à tous les maux, car ce sont nos projections qui la définissent ainsi; telle que nous nous représentons la réalité nous la faisons exister.
Nos grilles de lecture enferment les individus dans leurs travers, et nous retraduisons la réalité en termes psychopathologiques avec un vocabulaire choisi : le père peut être absent, alcoolique, contrôlant, violent…, la mère hyper protectrice, fusionnelle, envahissante, castratrice…
Guy Ausloos nous invite à considérer simplement que nous avons à faire à des parents qui font ce qu’ils peuvent. Pour lui, il faut changer de paradigme.
Traditionnellement, nous raisonnons en terme de faute qui conduit à de la culpabilité. L’issue à la culpabilité ressentie étant l’aveu qui conduira à l’absolution. Il s’agit de fondamentaux de la culture judéo-chrétienne. Michel Foucault parlait de la psychothérapie comme d’un nouveau modèle de confession.
L’idée est de remplacer ce schéma pour un modèle où la compétence amène à la responsabilité, et où l’information conduit à l’auto-solution.
Le travail du soignant consiste alors largement à faire remonter de l’information utile et à la faire circuler dans le système familial.
C’est en partant des travaux de Guy ausloos que la psychologue Edith Tilmans-Ostyn développe un modèle d’espace thérapeutique partant des expériences déjà menées par la famille. Car il faut bien considérer qu’avant d’entrer en contact avec les services de psychiatrie les familles ont souffert pendant des années sans pouvoir en parler, sans comprendre ce qui se passait mais en s’efforçant de trouver des solutions aux problèmes qui se posaient.
Dans ce modèle d’intervention donc, c’est la famille qui détermine si les propositions des soignants dans la relation d’aide sont pertinentes. Les familles détiennent des compétences et des savoirs nécessaires qui s’appuient sur une longue observation des manifestations de la maladie dans la vie quotidienne et en dehors des structures de soin.
Il faut inviter la famille à nous aider à aider le patient.
Pour obtenir un résultat, il s’agit d’aller à la rencontre de ces familles. Par ailleurs, le fait d’intégrer la famille enrichit considérablement le contenu et rend plus vivants les échanges. Cela permet au patient de constater l’intérêt que ses proches portent à ses soins.
Une famille est un système avec un équilibre, une communication, des frontières, des valeurs, une histoire, qui lui sont propres. Elle chemine au gré de ce que l’on nomme les cycles de vie (la rencontre, l’union, les naissances, le départ des enfants, la retraite, etc.), et subit des évènements variés (la séparation, le deuil, le chômage, la maladie, etc.).
Il faut s’imprégner de la dynamique propre de la famille et repérer ce qui peut l’amener à coopérer.

C’est une nécessité dans les prises en charge psychothérapeutiques de famille, mais pas seulement dans ce cadre, car la plupart des familles de patients ne s’engagent pas dans un travail de psychothérapie familiale. D’ailleurs, il serait préférable d’utiliser l’expression de Maurizio Andolfi de thérapie avec la famille qui souligne l’aspect de coopération, plutôt que d’utiliser le terme de thérapie de la famille qui souligne la source pathologique.

C’est là où elle passe et au moment où elle passe qu’il faut engager un travail avec la famille. C’est souvent au décours d’une hospitalisation du proche que nous allons mobiliser les ressources familiales, c’est à ce moment qu’il faut expliquer le parcours de soin, son utilité, à ce moment qu’il faut entendre le vécu de chacun, donner l’information utile.
Je souhaite illustrer cette intention particulière par une petite vignette clinique.
Je dois expliquer avant que j’interviens notamment à la demande dans un service d’accueil de l’hôpital psychiatrique. Les patients s’y rendent pour que leur état psychique soit évalué, ils sont ensuite orientés en fonction de cette évaluation.

Donc, ce jour je suis appelé pour la patiente que nous appellerons « Martine ».
Il s’agit d’une femme de 49 ans qui souffre d’une dissociation psychique avec des mouvements d’angoisse massifs. Elle peut se présenter par le biais de ses défenses psychiques hystériques, elle devient alors une petite fille immature au caractère irascible.
On note aussi des éléments de dysmorphophobie sur fond de clivage important, avec une moitié belle et une moitié laide, une moitié bien portante et une moitié malade, une moitié féminine et une moitié masculine.
Nous l’accueillons très fréquemment depuis le suicide d’un frère en 2008, auquel le décès du père viendra faire écho en 2012.
La maman de Martine est très présente et représente son meilleur soutien.
Mais ce jour, c’est accompagnée de ses deux frères et d’un cousin qu’elle arrive dans le service. La maman vient de décéder d’un tragique accident de la voie publique en se rendant chez Martine qui n’avait pas voulu faire le déplacement jusque chez elle.
Martine oscille entre une angoisse massive qui la fait paraître en état de choc et un discours logorrhéique, son humeur est particulièrement labile.
Lorsque je la reçoit avec ses frères elle se positionne en petite fille. Le désarroi des frères est considérable, ils ont quantité de choses à régler du fait du décès de leur mère et ne savent pas quelle position tenir à l’égard de Martine. Ils sont à la fois inquiets concernant son état psychique mais aussi inquiets à propos des réactions qu’elle pourrait avoir.
J’amène chacun à exprimer ses besoins du moment et nous réfléchissons à la façon dont les choses peuvent s’organiser.
Les frères expliquent les démarches à entreprendre, les rendez-vous auxquels ils doivent se rendre. Martine nous montre le joli papier sur lequel elle souhaite rédiger des poèmes pour sa maman, elle tient à les glisser dans le cercueil. Chacun tombe d’accord sur le principe d’une hospitalisation de Martine jusqu’à la date de la mise en bière. Martine est consciente d’avoir besoin d’être protégée durant cette période et les frères ont besoin d’être libérés pour régler certaines formalités.
Au final, Martine sortira pour assister à l’enterrement car l’état du corps ne le rendait pas visible et la famille ne pourra pas assister à la mise en bière. Elle adoptera un comportement plutôt adapté au moment des obsèques et chacun pourra vivre l’évènement sans être trop parasité. Martine passera ensuite un peu de temps en psychiatrie, afin de retrouver un équilibre satisfaisant.
C’est vers ce type de rencontres que nous souhaitons aller. Nous devons partir des besoins de la famille et faire circuler l’information pour trouver les réponses les meilleures.
Trop souvent nous sollicitons les familles pour obtenir les informations qui nous intéressent sans accueillir spécialement leur ressenti, nous leur proposons de s’inscrire dans des dispositifs pré-établis quand certains le peuvent mais d’autres pas, et nous ne nous rendons pas suffisamment disponibles au moment où elles en ont besoin.
A ce propos, il peut apparaître utile de préciser les besoins de chaque partenaire :

Le patient :
Comme tout individu il a des besoins fondamentaux (manger, boire, respirer, dormir, être vêtu, etc.). Il a aussi des besoins « secondaires » (la protection, la sécurité, l’appartenance, l’affection, l’estime de soi, le respect, le sentiment de se réaliser). Certaines réponses aux besoins sont essentiels pour le malade (la reconnaissance, la considération, l’écoute, la compréhension, la proximité).

Le soignant :
Par définition, il prend soin. Il a besoin de se sentir utile, d’être reconnu, valorisé, estimé. Pour pouvoir travailler, il a besoin de trouver un bon équilibre, et de ce fait doit bénéficier de soutien et d’écoute.

Le proche :
Son besoin premier est d’être aidant, pour cela il a besoin qu’on lui fasse une place, il a besoin d’informations claires concernant le patient, il a besoin d’être soutenu, aidé, accompagné, rassuré. Il a besoin aussi parfois de pouvoir « souffler » un peu.

Les premières études concernant l’impact pour une famille de la présence d’un malade psychiatrique au quotidien datent des années 1960 avec l’apparition du concept de lourde charge de soins. Deux axes sont définis : avec d’un côté les aspects subjectifs, tels que le ressentiment, la sensation d’être dépassé ou emprisonné dans une situation ; et d’un autre côté les aspects objectifs, comme les pertes financières, la routine quotidienne, l’absence de vie sociale, ou les besoins de surveillance et de contrôle du proche. (travaux de Hoenig et Hamilton – 1966). Ces travaux mèneront à terme à des programmes d’intervention familiale basés sur « l’alliance thérapeutique ». Des programmes psycho-éducatifs vont se développer avec un certain succès sans qu’il soit évident de déterminer les éléments spécifiques ayant un effet positif. Ces dispositifs se développent aujourd’hui dans les hôpitaux psychiatriques sous le terme « d’éducation thérapeutique ».

Dans cet effort de comprendre les relations entre soignants et famille je souhaite souligner la tentative de classification, du point de vu soignant, établie par le Docteur Yann Hodé, Psychiatre à Strasbourg, qui relève trois types de réactions des soignants face aux familles. Il observe :

– des équipes réticentes, voire opposées à rencontrer les familles ; qui veulent éviter l’interférence d’un tiers qui pourrait fragiliser l’alliance thérapeutique avec le patient ou créer des problèmes délicats liés au secret médical

– ensuite, des équipes favorables mais qui, dans la pratique, n’intègrent que les familles activement demandeuses

– enfin, des équipes favorables mais qui les intègrent d’une façon inadaptée, exigeant de la famille des changements ou une implication qu’elle ne souhaite peut être pas (j’ajouterais aussi des changements dont elle se sent peut-être incapable)

C’est conscients de cette difficulté que nous avons déposé un projet commun aux services d’addictologie et de psychiatrie générale afin d’élargir nos missions auprès des familles, pour ne plus se limiter au cadre stricte des thérapies familiales, mais pour pouvoir intervenir en soutien des équipes dans le cadre du travail avec les familles. Il s’agit de proposer un cadre tel que proposé par Edith Tilmans-Ostyn, et qu’elle nomme séance de consultance. En fait, il s’agit de faciliter l’émergence de nouvelles perspectives mobilisatrices d’évolution dans les relations familiales. L’idée consiste avant tout à aider les équipes face à un problème rencontré avec une famille et non pas à les supplanter, ou à prendre le relai de cette équipe.
Le contexte global de manque de moyens dans les hôpitaux psychiatriques ne facilite pas les choses mais l’enjeu d’évolution des rapports entre soignants et familles ne peut pas être négligé. La loi du 4 mars 2002 complétée par celle du 9 août 2004 a concrétisé la place et le rôle institutionnel des associations d’usagers. Parallèlement, l’Organisation Mondiale de la Santé invitait les pays à rendre les usagers, les malades, les familles et plus largement la communauté, acteurs du système de santé.
Il faut bien intégrer qu’aujourd’hui l’hôpital psychiatrique ne représente plus une solution durable, le virage de l’ambulatoire (autre façon de parler de la fermeture des lits de psychiatrie), l’insuffisance d’hébergement thérapeutique et de dispositifs de réhabilitation psychosociale, font que la famille reste la valeur refuge bon gré ou mal gré pour beaucoup de nos patients.
Quid d’un projet d’autonomisation qui ne serait pas envisagé avec la famille ? Les projets définis dans les services de soins doivent être réalisés en concertation avec l’environnement du patient, sans quoi l’échec est à peu près certain.
Je conclurai en signalant que le rôle joué par la famille ou par les soignants a souvent été surévalué et rarement pour en dire du bien. La trajectoire psychiatrique d’une personne est complexe, elle tient certes de la famille mais aussi de l’ensemble des professionnels intervenants, des amis, du voisinage, du groupe communautaire, etc. J’espère que nous parviendrons à l’avenir à faire du lien et à mieux nous ajuster au vécu des familles, en partant de là où elles sont, et cela pour mieux soigner nos patients, sans y perdre notre spécificité.

 

Restaurer le sujet dans l’homme (Pierre Delion)

 

Pierre Delion Croix-Marine Caen 2013

Le sujet au risque des nouvelles organisations

Congrès Croix Marine Caen lundi 30 septembre 2013

Restaurer le sujet dans l’homme

Pierre Delion

Venant à la rescousse de la parole prophétique de Tosquelles : « Sans la reconnaissance de la valeur humaine de la folie, c’est l’homme même qui disparaît », Henri Maldiney, avec la puissance qui le caractérise, déclarait lors d’une conférence que j’organisai avec Salomon Resnik à Angers en 1999  sur le thème « Penser l’homme et sa psychose » : « L’homme est de plus en plus absent de la psychiatrie, mais peu s’en aperçoivent parce que l’homme est de plus en plus absent de l’homme[1] ». On ne saurait si bien dire ce qui est en passe de nous arriver et contre lequel nous devons lutter collectivement de toutes nos forces éthiques, intellectuelles et affectives pour en empêcher la survenue. Non pas dans une attitude romantique ou esthétisante, ce qui pourrait laisser penser à une position nostalgique voire dépressive, mais dans un mouvement de rassemblement de tous les éléments épars que seule l’Histoire de la psychiatrie éclaire de la réalité de ses errements délétères et des espoirs de ses révolutions inachevées. Car enfin, il faut le dire haut et fort, une certaine idée de la psychiatrie a prévalu pendant quelques décennies, qui a permis d’accomplir de profondes modifications de son exercice auprès des personnes concernées par cette pathologie si singulière. Et tout cela pourrait tout simplement disparaître ? Et de surcroît pour de mauvaises raisons ? Il en va de cette psychiatrie à visage humain comme de la démocratie : nous ne prenons conscience de son immense importance que lorsqu’elle en vient à risquer de disparaître, nous révélant à la fois son caractère précaire et la fragilité des équilibres qui l’ont installée dans l’Histoire de nos contrées et de nos vies quotidiennes, menacée à chaque instant d’en être chassée par le côté obscure de la force … il n’est pas facile d’admettre que les avancées de l’homme ne peuvent jamais être considérées comme acquises une fois pour toute, et la correspondance entre Freud et Einstein est là pour nous rappeler avec une rigueur toujours aussi actuelle que les processus d’idéalisation, considérant la destructivité de l’homme comme amendable, sont nos pires ennemis sur le chemin de la civilisation de l’homme lui-même par les processus de Culture, seuls susceptibles de transformer la violence dans certaines circonstances. Ça n’est que lorsque l’on connaît bien ses limites qu’une évaluation des forces en présence est envisageable dans la réalité, sinon, les pièges de l’inflation imaginaire se referment sur les utopies avant même leur possibilisation. C’est en partie ce qui est arrivé à notre psychiatrie, que je qualifie de  transférentielle, de ne pas l’avoir assez explicitée ou d’avoir trop négligé les attentes de psychiatrie sécuritaire qu’un socius contemporain, pétri d’un malaise entretenu par des démagogues à courte vue, et excité par des médias de plus en plus complaisants à force de simplifications, semblait préférer à toute humanisation de ses modes d’exercice. D’un certain point de vue, une guerre larvée contre l’humanité des pratiques relationnelles est déclarée, et la psychiatrie, avec la pédagogie, la justice et quelques autres grandes causes comparables, est en première ligne de ce combat. Une psychiatrie sans sujet serait une psychiatrie mortifère.

Avant d’explorer plus en profondeur les avatars de la psychiatrie d’aujourd’hui risquant de se refermer sur ses démons connus et inconnus, il me semble utile de parcourir l’histoire de ses évolutions et révolutions pour mieux percevoir d’où s’originent les lignes de force qui président à la restauration du sujet dans l’homme.

La révolution psychiatrique

La révolution psychiatrique commence avec Pinel[2] et Pussin[3] sur les épaules des Encyclopédistes et dans le sillage de la Révolution française : le fou est un citoyen, et en tant que tel, le médecin peut l’aider ; il est ainsi libéré des prisons et des culs de basse fosse dans lesquels il croupissait antérieurement sur la seule action d’une lettre de cachet ; le désormais malade mental a le droit d’être soigné dans une tentative de compréhension humanisante, par un traitement moral qui repose sur une position philosophique révolutionnaire. Mais cette position pionnière, éclairée différemment par Foucault[4], par Gauchet et Swain[5], et plus récemment par Laure Murat[6], tenant en grande partie au charisme de ses deux premiers fondateurs, se dévoiera peu à peu dans une réforme centrée par Esquirol sur les espaces dédiés aux désormais malades mentaux, au détriment de l’art de les habiter avec humanité. La loi de 1838 commence par cette fondation : « Il est créé dans chaque département un asile d’aliénés[7] », traduction législative de la pensée opératoire d’Esquirol pour qui ce nouvel espace constitue « un instrument de guérison à la condition d’être gouverné par un médecin habile »…Une fois passées les quelques années de la lune de miel consécutive à cette réalisation oblitérant le caractère relationnel que l’utopie du traitement moral portait en elle, et minéralisant ses potentialités libératrices dans les désormais célèbres « murs de l’asile », l’expérience a montré que sans l’inspiration qui guidait les premiers philosophes-psychistes, cette projection de la folie dans des lieux médicalisés, était purement et simplement vouée à échouer sur le roc de l’inconnue transférentielle. Dans l’après coup nous avons compris que sans l’invention freudienne réhabilitant le monde des névroses, et permettant la découverte de ce levier puissant du transfert pour mieux approcher la présence de l’infantile dans l’actualité de son rapport au monde de l’intersubjectivité, le piège de l’aliénation mentale ne pouvait être déjoué sans le recours obligé à la surdétermination inconsciente. Cette première étape ne répondait que partiellement aux questions posées par les destins entropiques asilaires, dans le mesure où les transferts de personnes névrosées n’avaient que peu à voir avec ceux des personnes psychotiques, sédimentant dans un établissement d’aliénés. Il aura fallu attendre encore quelques décennies et la survenue d’une deuxième guerre mondiale pour que la métapsychologie freudienne soit visitée à son tour par les pères de la psychothérapie institutionnelle et plus précisément par Tosquelles et Oury. En venant proposer une réflexion qui visait à étendre à l’ensemble de la psychiatrie les découvertes freudiennes à condition de les repenser en fonction des pathologies envisagées, un lieu spécifié et clos ne pouvait en aucun cas parvenir à transformer (au sens de Bion) les éléments d’une double aliénation ( sur le plan psychopathologique et sur le plan social) existant préalablement dans le socius et conduisant le patient vers l’asile, en autre chose que la reproduction des mêmes mécanismes à l’intérieur même de l’asile : ségrégation, cloisonnement, isolement, pathoplastie, sédimentation.

Si pour Freud le sujet de la névrose n’est pas là où on l’attend (« wo es war, zoll ich werden » /« là où ça est, je dois advenir »), c’est parce qu’il est surdéterminé par un inconscient et, dans une moindre mesure, par un sur moi qui entretiennent tous les deux avec le moi des rapports de forces pulsionnelles qui produisent les symptômes de la névrose occidentale poids moyen ; dans certains cas, les forces en question débordent les capacités du système et déclenchent une névrose pathologique, mais les deux idées freudiennes novatrices sont que, même dans de telles occurrences, il n’y a pas de différence définitive entre le normal et le pathologique et que les symptômes ont un sens pour le sujet serti dans sa névrose normale ou pathologique : à charge pour le psychanalyste, devenu fin limier, d’en trouver le sens, non pas à la place du patient mais avec lui, co-acteur de sa thérapie. Pour y parvenir, Freud conseille, troisième idée-force, de prendre appui sur la la relation entre le patient et son psychanalyste, mise en forme par le vécu subjectal de son enfance, et actualisant ses premières interactions avec ses parents lors de sa période infantile, autrement dit sur le transfert. Difficile, après ces découvertes, de continuer à nier que le projet freudien soit de restaurer le sujet dans l’homme, même au prix de sa folie névrotique. Et insupportable d’entendre que la psychothérapie institutionnelle n’aurait pas comme projet de restaurer le sujet dans l’homme psychotique, et chez l’enfant autiste, tout en l’accompagnant dans la cité tout le temps nécessaire.

Mais la cure-type a ses limites, et notamment dès lors qu’il s’agit de soigner des personnes psychotiques et de se soumettre à leurs formes singulières de transferts, notamment le transfert dissocié, concept spécifique de la schizophrénie inventé par Oury, mais aussi le transfert psychotique ou projectif et le transfert autistique ou adhésif, et leurs corollaires obligés, les constellations transférentielles[8] de chaque patient en tant que créations institutionnelles répondant à la spécificité des « êtres-au-monde » de chacun. La psychothérapie institutionnelle est née pour partie de la réponse à la question posée par un Freud visionnaire en conclusion du Vème Congrès International Psychanalytique de Budapest en Septembre 1918, survenant sur les décombres de la première guerre mondiale, en proposant, sans le formuler aussi clairement, que l’institution figure le chaînon manquant dans l’instauration de la relation transférentielle entre le patient psychotique et les soignants qui l’accueillent, et en pensant le déploiement de cette institution de telle sorte que l’humain y soit cultivé de façon prévalente à toute autre qualité. Je ne peux résister ici au plaisir de vous citer cette parole freudienne qui a pour moi beaucoup d’importance : « Pour conclure, dit Freud, je tiens à examiner une situation qui appartient au domaine de l’avenir et que nombre d’entre vous considéreront comme fantaisiste mais qui, à mon avis, mérite que nos esprits s’y préparent. Vous savez que le champ de notre action thérapeutique n’est pas très vaste. (…)On peut prévoir qu’un jour la conscience sociale s’éveillera et rappellera à la collectivité que les pauvres ont les mêmes droits à un secours psychique qu’à l’aide chirurgicale qui leur est déjà assurée par la chirurgie salvatrice. La société reconnaîtra aussi que la santé publique n’est pas moins menacée par les névroses que par la tuberculose (…). A ce moment-là on édifiera des établissements, des cliniques, ayant à leur tête des médecins psychanalystes qualifiés et où l’on s’efforcera, à l’aide de l’analyse, de conserver leur résistance et leur activité à des hommes, qui sans cela, s’adonneraient à la boisson, à des femmes qui succombent sous le poids des frustrations, à des enfants qui n’ont le choix qu’entre la dépravation et la névrose.(…) Nous nous verrons alors obligés d’adapter notre technique à ces conditions nouvelles.»[9]

La création d’une véritable psychiatrie publique en appui sur la psychiatrie de secteur et une psychothérapie institutionnelle pensée et réalisée dans le creuset de Saint Alban pendant et après la deuxième guerre mondiale,  se situe à mon sens dans la suite logique directe des premiers actes révolutionnaires de Pinel et Pussin, puis de ceux de Freud : le sujet en souffrance psychique peut désormais bénéficier d’une prise en charge cohérente et continue, proposée au plus près de son lieu d’existence et de celui de ses proches, et sans impliquer une hospitalisation comme moyen de recours univoque, mais seulement sur indication médicale ; c’est de la critique des conditions de vie des malades (et notamment de la mort de 45000 d’entre eux) que jaillit l’impérieuse nécessité de la restauration du respect du sujet dans l’homme malade ; les lieux de rencontre avec les patients, soit en hospitalisation, soit en extra-hospitalier, sont articulés sur le mode, proposé par Jean Ayme, d’une bande de Moëbius, ce qui facilite la continuité des soins, condition de possibilité de la prise en considération de la relation transférentielle ; le travail porte sur la double aliénation en apportant des réponses à la souffrance individuelle du sujet par une approche psychothérapique au sens large, mais sans négliger les éléments d’aliénation qui proviennent de sa position dans le socius (famille, travail, culture), ce qui nécessite le recours au concept de « rapports complémentaires » repris par Tosquelles à Dupréel et amène à un travail avec les relais du patient dans la cité, et notamment avec le Politique ; l’institution sert d’objet malléable intermédiaire dans cette construction complexe de la constellation transférentielle, elle est à la fois souple et plastique pour pouvoir s’adapter suffisamment à chaque situation psychopathologique, mais la permanence de sa tenue en fait un étayage phorique[10] solide sur lequel le patient peut compter ; l’équipe soignante, substratum des constellations transférentielles, est le lieu du changement pour atteindre les objectifs poursuivis, par une formation continue à perpétuité, par une réflexion institutionnelle pour mieux s’adapter aux particularités de chaque sujet malade, et notamment à chaque forme de transfert ; les réunions de travail sont les véritables opérateurs de ces changements considérables.

Toutefois, ces perspectives changent radicalement le fonctionnement de la psychiatrie, et remettent en cause les privilèges de ceux qui disposaient d’un pouvoir discrétionnaire sur les équipes soignantes et sur les patients eux-mêmes ; cela entraînera des résistances plus nombreuses que prévues, et la psychiatrie de secteur/psychothérapie institutionnelle devenant banale (tout le monde pense en faire) se diluera dans une sorte de psychiatrie molle comme les montres de Dali, dans laquelle chacun y va de ses propres territoires psychiques plus ou moins fétichisés (les  fameux marquisats décriés par Bonnafé) sans considération suffisante pour les ressorts anthropopsychiatriques[11], de la doctrine sectorielle d’origine. Les formations exigeantes à la psychopathologie, les parcours psychanalytiques personnels, les apprentissages des techniques de groupe, pour ne citer que ceux-là, connaissent des aléas très divers qui, chez certains, prennent la forme de quasi-faux self professionnels parfois jusqu’à la caricature ; le fameux « s’autoriser de soi-même », proposé par Lacan dans un contexte précis, est encore trop souvent pris au pied de la lettre et donne lieu à une médiocrisation voire à une médiocratisation des pratiques qui laisse beau jeu aux détracteurs du secteur et de la psychanalyse de les parer de toutes sortes de  défauts qu’ils présentent effectivement. Mais plus généralement comme le démontre parfaitement Roland Gori dans son dernier livre « La fabrique des imposteurs » qui pourrait être sous titré : « bienvenue dans le monde des faux self », ce sont les rapports sociaux qui s’appauvrissent, progressivement grignotés par une culture de l’image truquée, et reposant principalement sur le paradigme du miroir magique : « miroir, miroir, suis-je toujours la plus belle de la contrée ». Et de même que le narcissisme subit une mise en abyme affolante lorsqu’il n’est pas transformé par le stade du miroir décrit successivement par Wallon puis Lacan, de même, recommencent à se développer les oppositions que la psychiatrie de secteur avait réussi à dialectiser et qui vont lui valoir un dépérissement programmé : psychiatre/administratif, urgences/chronicité, autonomie/dépendance, névrose/psychose, maladie/handicap, puis rapidement symptômes comportementaux/structure sous jacente et comportement/psychopathologie, classification française/classifications internationales, inflation du comportementalisme/haine de la psychanalyse, spécialités psychiatriques (addicto, pédo, géronto, urgence, ethno, …)/psychiatrie générale, sanitaire/médico-social.

Toutes ces divisions de la praxis psychiatrique pour de bonnes raisons, mais de mauvaise manière, aboutissent in fine à des découpages qui s’institutionnalisent dans les pratiques concrètes (en tant que spécialiste de tel symptôme, je ne reçois plus que les porteurs de ce symptôme et ne suis plus tenu d’assurer un accueil généraliste de tous ceux qui se présentent à ma consultation) et atomisent la psychiatrie pour en faire une sectorisation symptomatique digne d’un catalogue de vente par correspondance, sans aucun rapport avec la sectorisation historique. La démédicalisation des fonctions de responsabilité nécessaires à un fonctionnement cohérent des services de psychiatrie se poursuit et aboutit à la constitution de services dirigés de fait par des administrations souvent peu enclines à écouter les spécificités de la psychiatrie, dans lesquels travaillent des professionnels qui sont souvent peu formés à cette discipline, et organisés sur un mode très ségrégatif tendant à figer le sujet dans ses symptômes d’appel plutôt que de fluidifier sa souffrance vers des réponses polyphoniques, disposant d’une cohérence transférentielle.

Une médecine à visage humain

La médecine à visage humain a pâti des spécialisations progressives qui ont abouti in fine à une médecine hyperspécialisée, dite médecine des organes, quelquefois sans considération pour le sujet porteur de la maladie. Tout l’effort de Mickaël Balint[12] a consisté à construire avec les médecins généralistes intéressés un retour sur la personne à partir d’une conception de la médecine à visage humain. A chaque fois que les médecins peuvent être aidés dans leur travail ordinaire à revenir à cette notion essentielle pour leur éthique, ils sont la plupart du temps satisfaits de la qualité que cette expérience confère à leur exercice. On assiste d’ailleurs actuellement aux Etats Unis au retour d’une médecine dite joliment « médecine narrative » dans laquelle la personne retrouve son statut de responsable de sa propre histoire, et non plus victime de son destin de malade. Il n’est pas impossible que la nécessité du retour d’une médecine de la personne soit finalement éprouvée de façon plus aigüe dans un pays qui a créé aussi l’EBM et en a constaté, à côté de quelques progrès dans les spécialités médicales dures, les risques de sécheresse létale dans les autres, et notamment dans la nôtre!

Mais je voudrais donner deux exemples de ma pratique, à titre indicatif, pour montrer que cette médecine de la personne ne coûte rien d’autre que d’en prendre la décision : les obstétriciens qui grâce à la consultation du premier trimestre de la grossesse peuvent consacrer une heure à la part psychologique touchent du doigt, c’est le cas de le dire, cette part typiquement humaine qui concerne l’arrivée d’un enfant, avec son cortège d’espoir mais aussi d’angoisses. Lorsque la future mère peut parler de ces éléments à son médecin, elle « récupère » la part humaine de son aventure médicale et se trouve plus armée pour ce qui va lui arriver. A fortiori, si une dépression ou tout autre phénomène psychopathologique survient au cours ou au décours de cette grossesse, le médecin possède des éléments de compréhension qui l’aident à aider la mère dans la plupart des cas. Et lorsqu’il a besoin d’un avis plus spécialisé auprès du psychiatre, son adresse vers son collègue se fait de façon beaucoup plus articulée. Des groupes d’étude de cas pilotés par des pédopsychiatres avec les sages femmes ont été mis en place dans le cadre du réseau périnatalité et montrent à l’envi que ces nouvelles pratiques répondent à des impératifs humains qu’il n’est plus acceptable de laisser sur le bord du chemin

Autre exemple : une recherche conduite avec les pédiatres libéraux sur les liens entre dépression post-natale et signes fonctionnels chez les bébés (insomnies, anorexies, troubles relationnels précoces). L’utilisation d’une échelle EPDS de Cox dans la salle d’attente des pédiatres permet d’évaluer le risque dépressif chez la mère. Le pédiatre examine le bébé et repère ou non les signes fonctionnels. Si oui, il regarde le score de l’EPDS de la mère et s’intéresse alors à la santé psychique de la mère. Dans 90% des cas, son intérêt pour la santé de la mère amène une amélioration de son état narcissique et une régression des signes fonctionnels des bébés. Dans 10 % le pédiatre adresse à son collègue pédopsychiatre pour une consultation parents-bébé.

Dans ces deux expériences, le focus du médecin mis sur les aspects humains des situations médicales a des effets directs sur les symptômes médicaux présentés en première ligne dans la consultation. Le sujet est remis en première position quand le médecin pourrait se contenter de sélectionner ses symptômes et de les traiter « à part ». D’ailleurs, il est des domaines de la médecine, en chirurgie par exemple, où cette démarche s’impose pour partie, mais le retour à la personne qui est là devant le médecin doit toujours être réalisé pour le moins au moment du diagnostic médical.

Une psychiatrie à visage humain

Si pour la médecine, cette démarche semble aller de soi, bien que beaucoup de patients se plaignent qu’elle soit encore trop rare, on pourrait s’attendre à ce que dans le domaine de la psychiatrie, elle fasse partie, je n’ose pas dire du pack, mais de ses pratiques communément admises. Nous avons vu l’histoire de la psychiatrie récente, à partir de la révolution française. Et nous avons découvert à quel point les forces civilisatrices à l’œuvre étaient souvent en butte à d’autres forces de déliaison, cherchant à atomiser, cloisonner, sérier, pour opérer dans cette médecine de l’âme de nouvelles tentatives linnéo-sydenhamiennes, dénoncées en son temps par notre ami Jacques Schotte comme une caricature de la science appliquée sans les aménagements nécessaires à la psychiatrie. Or, que voit-on ces temps-ci se mettre en place, toujours sous le couvert de la science, et plus précisément des méthodes EBM, et de plus en plus souvent sous la pression de quelques associations d’usagers ou de parents aux méthodes intransigeantes voire violentes ? Après avoir intégré de façon sans doute trop superficielle les avancées permises par la psychopathologie psychanalytique dans la médecine au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle, et en avoir fait, trop souvent au détriment d’avancées réelles dans la pratique des soins, une mode parfois carrément snob dont on parlait dans les salons autorisés et dans les mêmes médias qui aujourd’hui la honnissent, la psychanalyse connaît aujourd’hui un retour de balancier important, et l’on voit, comme souvent dans les modes, les loups hurler avec les loups, ou pour le dire autrement, les praticiens soit-disant psychanalystes ou favorables à cette philosophie de la psychiatrie, souvent autorisés d’eux mêmes, quitter ce haut du pavé autrefois honorable pour se rabattre sur des méthodes moins complexes, d’apparence plus scientifiques, et pour tout dire, comportementalistes, prouvant ainsi d’ailleurs l’absence d’intériorisation chez eux de la mode précédente !!. Je n’ai personnellement rien contre ces méthodes, à condition de leur redonner la place qu’elles n’auraient jamais dû quitter : celle de l’éducation et de la rééducation qui ne se résume pas, et de loin, au conditionnement opérant, qui en est une caricature monoclonale. S’il y a aujourd’hui une confusion dévastatrice en matière de psychothérapie, qui est avalée à toutes les sauces, c’est bien celle qui concerne une opposition entre d’une part les psychothérapies qui s’inspirent du traitement moral de Pinel et s’approfondissent avec Freud et la psychanalyse, qui lui donne en quelque sorte ses lettres de noblesse, en passant par le psychodrame, les psychothérapies diverses et variées et qui trouve sa généralisation possible dans la psychothérapie institutionnelle (Oury dit que la psychanalyse est une forme particulière de la psychothérapie institutionnelle), et d’autre part les dites thérapies cognitivo-comportementales qui s’originent, elles, dans l’éducation, et n’ont que peu à voir avec les précédentes psychothérapies, dans la mesure où elles sont dérivées d’un mixte entre Pavlov, Lovaas et consorts, et la méthode Coué, éventuellement mâtinée d’une psychothérapie du moi post-freudienne, centrée sur la reconstruction d’un moi plus apte à diriger son monde, mais sur un mode essentiellement éducatif, à la Woody Allen, voire, quand il s’agit du conditionnement opérant, à la Orange mécanique. Bien entendu, on ne peut en aucun cas résumer l’éducation à ces options choisies par certains car il est plus facile d’en évaluer les effets apparents. Une éducation digne de ce nom est humanisante par définition, et les éducateurs avec elle. Se limiter à faire acquérir à l’enfant, voire à l’adulte dépendant, des comportements normés est toujours suspect de faire partie des techniques d’emprises, s’ils ne sont pas transcendés par les processus d’identifications à l’œuvre dans toute éducation intersubjectale. Dans le cas d’une éducation de la sorte, il n’y a pas à mes yeux d’opposition entre ces deux approches de la personne, mais plutôt possibilité de complémentarités pour ceux qui l’estiment nécessaire. Elles répondent à des besoins différents, elles obéissent à des logiques spécifiques, elles doivent pouvoir vivre leurs vies de façon autonome, tout en coexistant sans dommages. Vous avez tous connu dans vos humanités des professeurs d’histoire-géographie. Oppose-t-on pour autant l’histoire et la géographie ? Et même dans le cas de thérapies dites « cognitivo-comportementales » choisies délibérément par les parents pour l’éducation de leur enfant présentant un autisme, les réunions de travail entre les acteurs de la psychothérapie et ceux de l’approche éducative type TCC ou autres, conçues sur le mode de la constellation transférentielle permettent d’humaniser l’ensemble de la prise en charge de façon évidente, en tout cas dans mes expériences et dans celles de nombreux praticiens ouverts à ces complémentarités.

Dans le développement de l’enfant, il n’est pas besoin d’être grand clerc pour s’apercevoir que l’éducatif est pour une part à l’œuvre dans ce qui structure ses apprentissages, mais que, par ailleurs, pour une part non négligeable de sa construction psychique, ce n’est pas l’attitude éducative qui prévaut mais bien le pathei matos, l’enseignement par l’épreuve de la souffrance et les réflexions qu’elle déclenche en retour, référé à la pensée psychothérapique du monde qui peut être résumée par la question : « Alors toi, petit d’homme ! Que penses-tu de cette expérience qui vient de t’arriver ? ». Il me semble que les conflits énormes qui sont actuellement à l’œuvre dans notre France contemporaine, récemment encore actualisées par les bévues inimaginables sur l’autisme faites par la ministre déléguée aux handicapés, consomment en pure perte une énergie considérable, révélant une réduction de la pensée à une logique binaire, indicatifs d’une radicalisation des problématiques humaines, et d’un éloignement progressif d’une ambiance démocratique sans laquelle la psychothérapie ne peut se développer valablement sauf à déclencher de telles oppositions, de nature profondément raciste.

Restaurer le sujet dans l’homme

Dès l’instant où une société se donne le droit et la possibilité de poser ces questions essentielles sans déclencher aussitôt des buzz insensés et des processus de meurtres de la pensée, il existe une place pour que le sujet habite l’homme en toute liberté. Après quoi, et c’est l’horizon de toute liberté, arrive la question de l’angoisse qui en borde les entours. Mais nous préférons cent fois l’angoisse à la privation de liberté. Et si l’angoisse se montre trop envahissante, féroce, persécutrice, alors le recours au psychiatre et aux équipes de psychiatrie est une réponse que la société offre à ses membres pour en tempérer les débordements. C’est là que la distinction entre angoisse névrotique et angoisse archaïque ou psychotique trouve toute sa justification, dans la mesure où les réponses à y apporter ne sont pas du même ordre comme nous l’avons vu au cours de notre présentation.

L’idée d’une modernité coïncidant avec un monde où l’angoisse n’est plus tolérée, où le risque zéro justifie le principe de précaution de l’ordinaire du citoyen, où l’ennui, séquelle d’une maladie infantile des démocraties, doit être banni, et où l’expression de conflits manifeste un penchant regrettable pour le spectacle, cette angoisse donc, nourrit le recul des démocraties au profit d’une fausse démocratie, la démocratie médiatique, qui n’est rien d’autre que l’intégrale des figures en faux self évoquée précédemment. Je veux dire que plus que l’authenticité, c’est l’image que l’on donne de soi qui compte dans le sociétal contemporain, quitte à la travestir pour séduire, ce qui ouvre de fait le champ des perversions. Or dans une telle démocratie médiatique, l’avis des gens est recueilli comme la preuve de l’existence de la démocratie, mais leurs avis sont formatés par les médias pour assouvir les dieux de la consommation et l’enrichissement du capitalisme international au profit de quelques élites hyperventrues. Il n’est que de voir les travaux de la neuro-économie pour constater à quel point ces hypothèses ne sont plus les fictions politiques de Huxley, d’Orwell ou de Lewin que nous avons tant aimés, qu’elles représentaient autant d’épouvantails lointains et hors de propos. Mais en quelques années, elles sont devenues les figures de l’emprise sur nos inconscients cérébraux, au sens de Marcel Gauchet[13].

Devant un tel constat qui peut passer pour alarmiste, tous ceux parmi nous qui sont porteurs du projet de restaurer le sujet dans l’homme, au risque d’une angoisse bien tempérée, se heurtent de fait à ces forces de déliaison de l’humanisme de base. Il nous faut donc résolument faire face à nos détracteurs pour leur opposer notre sérénité sur les objectifs poursuivis. Pour ce faire, il n’est pas judicieux de renforcer les clivages entre les approches différentes et complémentaires de la psychiatrie, plutôt d’indiquer à quel point notre discipline ne peut produire de résultats éthiquement acceptables sans un appui sur le vertex de l’humain d’abord. La rectification d’un comportement, si elle ne comporte pas à la clé le sens que ses variations venaient signifier, ne vaut que comme recherche de se plier à la norme sociale, pour rejoindre le troupeau des citoyens d’une démocratie médiatique sans paroles et sans autre avenir que vétérinaire. Elle ne permet pas de se poser la question de la singularité des personnes qui composent notre monde, et encore moins de répondre aux angoisses corollaires qui peuvent en découler directement.

Pour revenir, en guise de conclusion, à l’échange entre Einstein et Freud, ce dernier, répondant à la question du premier sur la possible émergence d’un pacifisme, déclare :

« Et maintenant combien de temps faudra-t-il encore pour que les autres deviennent pacifistes à leur tour  ? On ne saurait le dire, mais peut-être n’est-ce pas une utopie que d’espérer dans l’action de ces deux éléments, la conception culturelle et la crainte justifiée des répercussions d’une conflagration future, — pour mettre un terme à la guerre, dans un avenir prochain (je vous rappelle que ce texte est écrit en 1933). Par quels chemins ou détours, nous ne pouvons le deviner. En attendant, nous pouvons nous dire : Tout ce qui travaille au développement de la culture travaille aussi contre la guerre. [14]» Dont acte.

 

[1] Maldiney, H., « Comme Husserl avait alerté la philosophie, par son mot d’ordre « Zur Sache selbst », « aller à la Chose elle-même », à ce qui est réellement en cause dans l’affaire … Ludwig Binswanger entendait alerter la psychiatrie par un propos avertisseur qui lui rappelait son champ propre : « l’Homme dans la psychiatrie ». On ne saurait dire qu’il a été entendu. L’homme est de plus en plus absent de la psychiatrie. Mais peu s’en aperçoivent parce que l’homme est de plus en plus absent de l’homme ! Il est possible de comprendre comment ce retrait de l’homme s’effectue en somme de façon humaine et ce qu’il implique d’humain. Car l’homme, dans son retirement suit cette voie spécifiquement humaine qui s’appelle, depuis Heidegger, le « projet » lequel est au principe de toute entreprise. Or c’est à une entreprise que tend à ressembler, de plus en plus, l’action psychiatrique. Aussi est-il possible d’apercevoir en même temps ce qui se montre de l’homme dans cette déshumanisation humaine, et d’en tirer des éclaircissements sur le procès humain que constitue la folie. » Angers samedi 16 octobre 1999 : Penser l’homme et sa psychose

[2] Pinel, P., Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale, Paris, Brosson, 1809.

[3] Didier, M., Dans la nuit de Bicêtre, Paris, Gallimard, 2006.

[4] Foucault, M., Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, Paris, 1971.

[5] Gauchet, M., Swain, G., La pratique de l’esprit humain, Gallimard, Paris, 1980.

[6] Murat, L. L’homme qui se prenait pour Napoléon, Gallimard, Paris, 2011.

[7] Article 1 de la Loi du 30 juin 1838.

[8] Delion, P., Soigner la personne psychotique, Dunod, Paris, 2010.

[9] Freud, S., La technique psychanalytique, PUF, Paris, 1975, pp.140-141.

[10] Delion,  P., op.cit.

[11] Schotte, J., Vers l’anthropopsychiatrie, Hermann, Paris, 2008.

[12] Balint, M., Le médecin, son malade et la maladie, Payot, Paris, 1957.

[13] Gauchet, M., L’inconscient cérébral, Seuil, Paris, 1999.

[14] Einstein, A., Freud, S., Pourquoi la guerre ?

Publié il y a 8th October 2013 par Marie-Christine Hiebel

Libellés: croix-marine Pierre Delion

http://bibliothequeopa.blogspot.fr/2013/10/pierre-delion-croix-marine-caen-2013.htm

 

VIDEO : Le soin à domicile, une nouvelle organisation ?

 

Président Didier Drieu Maître de conférence de psychologie clinique et pathologique, CERReV,

Université Caen Basse-Normandie

Rapporteur Pascal Couturier Interne en psychiatrie,  Université Caen Basse-Normandie

Animateur Jean-Noël Letellier Psychologue, Fondation Bon Sauveur, Picauville

Intervenants Mathias Couturier Maître de conférence en droit privé et sciences criminelles,

Université Caen Basse-Normandie

Philippe Leprelle Cadre Supérieur de Santé, Fondation Bon Sauveur, Picauville

Séverine Revert Chef de service, Service l’APPUI-Foyer Léone Richet, Caen  Christina Roulland Psychiatre, Fondation Bon Sauveur, Picauville

 

Argument Le domicile, auparavant relativement sanctuarisé par la loi, évolue progressivement en un espace où la protection de l’intime se transforme ; lieu possible d’incarcération avec les mesures d’aménagements de peines liées au bracelet électronique, espace transformé au moins dans les mots en un lieu de soin par les expérimentations de l’HAD et, dans la réalité, en un lieu de mise en œuvre des programmes de soins depuis la loi de 2011, et, depuis longtemps, lieu d’accompagnement à l’autonomisation.

On sait combien la perception par tout un chacun de la réserve que constitue son domicile permet d’organiser une identité sociale préservée. Quel sens peut avoir une relation de soin qui s’établit d’une façon si inéquitable quand le chez soi devient un lieu possible d’intrusion et donc une éventuelle effraction dans son intimité ?

De plus un flou subsiste quant à l’appropriation de lieux de résidence en établissements divers (EHPAD, Appartements associatifs …) quand on n’évoque pas aussi plus directement le statut de la chambre d’hôpital et les droits qui y sont associés.

Et que penser de l’accompagnement à domicile, dont on sait l’intérêt pour maintenir l’insertion sociale, quand il est organisé par des prestataires de service dont les interventions isolées sont totalement vidées des liens indispensables permettant l’institution d’une relation pensée avec un établissement ? Pourtant, des pratiques existent de longue date basées sur les principes de la psychothérapie institutionnelle qui permettent de penser l’intervention à domicile.

De même quel cadre thérapeutique peut s’instaurer quand il est soumis à tant d’impondérables comme les VAD traditionnelles s’en font souvent l’écho ? Le domicile est aussi la place de la famille, et à ce titre, quels effets sont produits par la transformation, au moins symbolique, du domicile en un lieu possible de soin ?

On pourra débattre et réfléchir à partir des témoignages de soignants expérimentant l’HAD ou d’autres formes d’accompagnements, mais aussi de résidents évoquant leurs perceptions de ces formes d’interventions avec l’aide d’un regard juridique qui invitera à soumettre cette évolution du statut du domicile aux contradictions entre la loi et les divers règlements des établissements.

Mathias Couturier, MCU de droit privé et sciences criminelles, CRDP, Université de Caen évoquera et discutera les dimensions juridiques.

Séverine Revert, service l’APPUI (Foyer Léone Richet) rendra compte d’une expérience d’accompagnement au domicile auprès de sujets psychotiques reposant sur les principes de la psychothérapie institutionnelle.

Philippe Leprelle et Dr Christina Roulland, équipe de suivi HAD de la Fondation Bon Sauveur, rendront compte d’une expérience récente d’hospitalisation à domicile dans le champ de la santé mentale.