De l’hospitalo-centrisme à l’agencement pluriel des lieux de soins en psychiatrie : Représentations et pratiques sociales de l’institution psychiatrique.(caen 31/03/2015).

Alexandre FARCY

De l’hospitalo-centrisme à l’agencement pluriel des lieux de soins en psychiatrie :

Représentations et pratiques sociales de l’institution psychiatrique.

Pour une sociologie de l’institution psychiatrique :

Tout d’abord, il faut en convenir, l’institution psychiatrique à longtemps été tenue hors du domaine de la sociologie. On pourrait d’autant plus s’étonner de cette négligence que les aliénistes et les psychiatres de la première génération ont toujours eu conscience des retentissements sociaux de la maladie mentale et des réponses particulières qu’elle devait apporter. En effet, c’est en vain que l’on chercherait une conception et une stratégie thérapeutique qui ne soient intimement liées à une finalité sociale ; ou des notions de la maladie et de la guérison qui ne soient orientées par celles de la désadaptation et de la réadaptation sociale.

Pour rendre compte de cette situation paradoxale, on peut assurément invoquer les préjugés et les « limites » du sens commun à l’égard de la maladie mentale, la dimension subjective et irrationnelle du trouble psychique peu propice à l’objectivité sociologique, ou encore les divers interdits qui limitent l’accès de cette institution fondamentalement et étiologiquement sanctuarisé. Toutes ces raisons néanmoins ne justifient pas une telle négligence.

L’institution psychiatrique n’est pas, en effet, comme on le pense trop souvent, réduite à l’établissement hospitalier et relevant exclusivement du savoir médical. Il faut plutôt l’entendre, comme l’ensemble des représentations, des croyances, des pratiques, des modalités d’organisations, des idéologies etc., qui à différentes époques s’instituent en rapport avec la maladie mentale et qui porte le nom de psychiatrie. Si l’on considère donc l’institution psychiatrique comme une forme sociale à part entière, composées de ces différents registres, on peut affirmer que ces derniers donnent lieu à une multiplicité de matériaux accessibles à l’analyse sociologique.

Dans ses orientations originelles, la médecine mentale était corvéable aux représentations sociales dominantes. Se référençant exclusivement aux critères de normes, plutôt que médicaux, pour exclure socialement les individus en situation de déviance psycho-sociale, elle s’est efforcée de procéder en s’inspirant d’avantage d’une grille de lecture sociologique, à une mise à l’écart des individus les plus excentrique aux cadres socio-normatifs dominants. Se basant, dans ses premières heures d’applications, sur les normes et valeurs des institutions familiales, religieuses ou encore scolaire, dans la réalisation du traitement social de la folie, la médecine mentale et son référentiel institutionnel, à savoir l’asile, se sont édifiés sur le modèle de l’idéologie dite bourgeoise. Idéologie qui prévoit l’aménagement d’une organisation sociale de type inégalitaire, dans laquelle l’ensemble des relations sociales sont définis par les positions qu’occupent les individus dans la division social du travail.

De ses origines jusqu’à aujourd’hui, l’institution psychiatrique s’est efforcé de composer avec la société. Dans un premier temps, dans le cadre de l’Asile et d’une longue période marqué par l’hospitalo-centrisme, elle s’en est éloignée,  la considérant comme facteur de risques et de désordres, puis dans un second temps, elle l’a investit en tentant d’articuler sa pratique aux exigences sociales.

Le passage d’une psychiatrie se consacrant à traiter la maladie mentale dans le cadre d’institutions disciplinaires à savoir l’Asile, à une psychiatrie orientant ses pratiques et représentations au travers du prisme de la santé mentale, à partir d’un quadrillage institutionnel plus diffus inscrit dans le tissu social, ne peut que susciter l’attention de la sociologie. En effet, ces mutation implique de toute évidence, un renversement dans la nature de l’intervention psychiatrique, de ses représentations et des fonctions qu’elle remplit dans la régulation des rapports sociaux.

         De l’Asile au secteur : L’aggiornamento moderne de l’institution psychiatrique en question.

            Genèse et naissance de l’Asile :

Avec l’avènement de la Réforme protestante et le discrédit qu’elle jette sur le christianisme quant à sa permissivité spirituelle, c’est le rapport de l’homme à la misère qui change. Objet de charité et instrument d’accession au salut divin, la misère à longtemps eu une fonction religieuse dans le dogme chrétien. C’est au cours du XVIIème siècle dans un contexte général de laïcisation de la philanthropie, que ce rapport fonctionnel de complaisance et d’indulgence qu’entretien la chrétienté à l’égard de la misère cesse, pour devenir un rapport de rejet et d’abandon. :

« Une expérience du pathétique allait naître qui ne parle plus d’une glorification de la douleur, ni d’un salut commun à la Pauvreté et à la Charité ; mais qui n’entretient l’homme que de ses devoirs à l’égard de la société et montre dans le misérable à la fois un effet du désordre et un obstacle à l’ordre. Il ne peut donc plus s’agir d’exalter la misère dans le geste qui la soulage, mais tout simplement, de la supprimer » (Foucault, 1972 : 83 ).

Au détriment des représentations et des fonctions religieuses traditionnelles de la misère, vont naître des représentations d’avantage inspirées par la morale et l’idéologie monarchique. La misère  glisse alors d’une expérience religieuse qui la sanctifie, à une conception morale qui la condamne ( Foucault, 1972 : 102) Elle est dorénavant source de vices, de dangerosité et de désordre, il n’est donc plus tolérable de la laisser exister aux yeux de tous. De ce nouveau rapport qu’entretien la société à la misère s’institutionnalisera  l’hôpital général (1656). Ce  lieu d’enfermement n’est pas dans sa vocation originel comme on pourrait le penser un lieu de soin mais plutôt de ségrégation et d’exclusion sociale :

« Dans son fonctionnement, ou dans son propos, l’Hôpital général ne s’apparente à aucune idée médicale. Il est une instance de l’ordre monarchique et bourgeois qui s’organise en France à cette époque » (Foucault, 1972 : 73).

C’est donc, dans  le but de contraindre l’agitation des individus susceptible de compromettre l’hygiène et l’ordre publique que l’hôpital général sera institué et deviendra ce lieu paradoxal d’assistance et de répression.

La folie, en contradiction avec les principes d’ordre, de rationalité et d’hygiénisme sur lesquelles se base le classicisme rejoindra également les rangs de la longue liste des catégories indigentes internées. Indistinctement, toutes les « classes dangereuses ou indésirables » feront l’objet d’un traitement social spécifique, caractérisé par l’internement systématique. Les fous se verront donc attribuer une place dans cette institution aux frontières encore très incertaines. En effet, « il n’est guère arrivé qu’on précisât clairement quel y était leur statut, ni quel sens avait ce voisinage qui semblait assigner une même patrie aux pauvres, aux chômeurs, aux correctionnaires et aux insensés » (Foucault, 1972 : 71).

Désormais enfermé dans cet espace de partage que symbolise l’hôpital général, le fou va devenir dans les conceptions de l’époque, le personnage archétypique de la déraison ; incapable de faire sens, dans une société débarrassée de ces représentations séculaires relevant du fait religieux, et animé du rationalisme classique.

Historiquement, ce sont donc les valeurs d’ordre et de raison, construites corrélativement au processus de sécularisation qui traverse l’Europe dans cette proto-modernité que Michel Foucault nomme « l’âge classique », qui justifieront le « grand renfermement » et amèneront au développement d’une médecine spéciale  et  qui s’appliquera dans le cadre de l’institution asilaire.

Pendant plus d’un siècle et demi, l’internement des insensés ne se fera que dans le cadre de l’hôpital général. Il faudra attendre la chute de l’Ancien régime, pour que cette population fasse l’objet d’un dispositif médico-juridique d’ensemble. Pourtant, l’entrée des médecins sur la scène de la folie s’est faite un peu avant la Révolution. En effet, déjà nombre d’articles font allusion à ce phénomène, à considérer comme objet de la science médicale et susceptible de bénéficier de ses grilles de lectures symptomatologiques dans la mise en place d’une cure. Il y a en effet déjà à cette époque, l’idée que l’individu fou interné dans ses institutions exclusive, doit bénéficier d’un traitement et de remèdes spécifiques, contrairement aux autres reclus.1

C’est ainsi que,  la synthèse historique d’un lieu d’exclusion et d’un espace de soin, due au croisement du fou, du criminel et du pauvre malade fonde historiquement la possibilité de l’asile psychiatrique.

Qu’on ne s’étonne pas si encore aujourd’hui, les représentations sociales sur la maladie mentale sont encore très négatives. En effet, si les idées de dangerosité, de risque et de dénuement que le sens commun associe à ce phénomène sont encore très prégnantes, c’est qu’elles sont pour la plupart construites et transmises par un effet d’héritage institutionnelle. La valeur trans-historique de l’institution, comme actualisation de forme institutionnelle passée, fait de cet entité le support matérielle et idéel de tout un ensemble de matériaux sédimenté en son sein, qui conditionne et oriente encore aujourd’hui les pratiques, discours et représentations sur la maladie mentale.

Le traitement moral : Un siècle d’Aliénisme.

Au delà des permanences et des analogies qui sont communément admises dans l’historiographie psychiatrique au sujet des différentes représentations qu’a su adopter l’institution en rapport avec la maladie mentale, nous avons chercher à déceler les modifications et les transformations de ce système de représentation et du discours idéologique qui sous tend les pratiques et le savoir psychiatrique. Un détour historique par la première méthode thérapeutique qui tentera d’appréhender et de guérir l’aliénation mentale nous semble nécessaire, si l’on veut, en privilégiant l’approche diachronique révéler les modifications et transformations des pratiques et représentations de l’institution psychiatrique.

Le traitement moral constitue incontestablement l’élaboration la plus cohérente des doctrines qui se sont développées au XIXème siècle pour tenter d’assister, de guérir et d’expliquer la maladie mentale. Cette méthode thérapeutique déploie, dans ses premières heures d’applications un type d’approche, déterminés à partir d’un système de représentations sociales bien particulier. Le fort potentiel anomique qui pénètre la société Française du XIXème siècle, expose fortement les individus à la vulnérabilité sociale, aux troubles en tous genres, et notamment mentaux. Dans un environnement en perpétuel mouvement, il est difficile pour les individus de mettre en place des formes sociales viables. En proie à un défaut de régulation de leurs désirs et comportements  dans une société de plus en plus permissive et défaillante dans la production de normes, les individus sont potentiellement, dans cette expérience douloureuse que constitue l’anomie sociale, exposés à une certaine forme de morbidité. Elle s’exprimera au travers de l’apparition d’une aliénation mentale ou encore de manière irréversible par le suicide comme le constate Emile Durkheim dans « le suicide ».

Dans cette perspective, les troubles sociaux ont une influence sur la folie. L’étiologie elle même du traitement moral prend place dans cette imagerie du désordre, que provoque le développement des sociétés industrielles. C’est donc à partir de cette grille de lecture des troubles mentaux, que naîtra l’idée d’un indispensable isolement de la folie du monde social, si l’on veut la guérir. L’asile sera ainsi conçu, comme la répétition de la société, mais à l’abri des tares qui l’anime. Ce confinement sera au centre de l’application de cette rationalisation qui s’exercera pendant près d’un siècle dans le cadre de l’asile, et qui portera le nom de traitement moral.

Les fondements théoriques du traitement moral, inspiré par des idées d’ordre, de hiérarchie, de discipline et d’équilibre sont une réponse à la transformation des cadres socioculturels, à l’instabilité qu’elle génère et à l’anomie sociale. Cet ordre artificiel qui s’applique dans la structure de l’asile aura pour vocation de resocialiser à partir de méthodes disciplinaires, et en les arrachant d’un milieu social pathogène et perturbateur, les individus « hermétiques » aux instances de socialisation traditionnelles ayant préliminairement échouées dans l’intégration sociale de ces derniers (famille, travail, école etc.,) :

La fonction du médecin dans le traitement moral (Jean Étienne Esquirol est la figure majeur de l’Aliénisme) est déterminée par son aptitude à administrer son institution.  Ainsi, selon Esquirol « une maison d’aliénés est un instrument de guérison ; entre les mains d’un médecin habile, c’est l’agent thérapeutique le plus puissant contre les maladies mentales » (Castel ,1977 :65).  La figure charismatique du médecin, représentant de l’ordre et de la morale, doit s’effacer au profit d’un environnement social autoritaire et diffus, capable de se disperser dans l’institution tout