Jean Noël LETELLIER, sexualité et institution, Lessay, mars 2012

LESSAY : mars 2012

Rencontre sur le thème : sexualité et institution

Des conséquences sur les institutions de l’évolution des discours sur la sexualité

Mr LETELLIER, psychologue, CH de PICAUVILLE

Libellé ainsi qu’il l’a été sur le programme de cette journée vous vous êtes peut-être demandé quel idée croix marine avait derrière la tête en proposant aujourd’hui de travailler sur sexualité et institution .Si tant est que ces deux termes accolés puissent en eux même soulever une problématique quelconque , on pourrait tout d’abord penser qu’elle sera anecdotique ou au mieux qu’elle évoquera la réapparition d’un serpent de mer de la psychiatrie souvent encline à se battre la coulpe et tentant encore de se dégager de son histoire asilaire peu glorieuse.

Au pire on pourrait encore penser qu’on va donner dans un sensationnalisme racoleur en abordant quelques affaires médico légales un peu croustillantes dont on sait qu’elles éveillent toujours son petit côté voyeuriste que tout un chacun entretien avec plus ou moins de culpabilité.

Mais le fait est que des questions émergent dans toutes sortes d’établissement s’organisant comme des lieux de vie où la question de la sexualité vient solliciter à divers titres des équipes et des soignants bien en difficulté pour aborder cette question , sexualité et institutions n’ont jamais fait bon ménage comme on essayera de l’expliquer plus loin.

Je dis à divers titres car aussi bien la question ressurgit du côté d’une certaine revendication des droits , mais aussi du côté de la transgression , et concerne des réponses probablement de plus en plus difficile à satisfaire quand il est si difficile de se référer à des discours cohérents sur une question combien occultée dans l’histoire des institutions en général …mais peut être pas tant que ça.

C’est pourquoi préparer cette journée mais aussi cette intervention a posé et pose encore de nombreuses difficultés tant il a été complexe de situer et de tenter de cerner la problématique qu’il convenait d’aborder. Bien entendu le choix de cette thématique s’encre aussi dans des évènements contemporains sur lesquels les discours se sont multipliés récemment.

La situation paradoxale que nous allons tenter de mieux cerner aujourd’hui peut s’exprimer et se rencontrer dans les institutions qui nous intéressent, médicales et médico-sociales, comme le résultat d’évolutions sociétales plus ou moins récentes dans des champs aussi divers que la revendication d’une liberté individuelle accrue, la judiciarisation récente de domaines nouveaux, la mise en cause des établissements comme modèles possibles de soin et de rééducation.

Mais comme toujours y réfléchir avec distance suppose de ne pas oublier que cette thématique s’inscrit dans l’évolution de discours et de pratiques dont il me semble indispensable de toujours resituer l’enracinement historique.

Si la question de la sexualité au regard de la place que les institutions lui assignent, parait incontournable aujourd’hui dans une sorte d’injonction coupable, on peut penser qu’on peut y voir le résultat de différents mouvements qui travaillent le corps social, qui modifient le rôle confié aux institutions.

Depuis quelques années, des révélations concernant des institutions parfois millénaires et qui ont donné lieu à des scandales retentissants ont révélé que des établissements pouvaient être spécifiquement des lieux de transgression soigneusement tenu à l’écart.

Comme s’il avait longtemps existé une tolérance manifeste des états concernant la latitude de nombreuses institutions à s’exonérer des règles communes, comme si l’état déléguait son pouvoir de légiférer et de punir, à des établissements ainsi mis en situation de produire leurs propres dispositifs légaux et de n’avoir pas à rendre compte de leurs excès ni de leurs transgressions.

Ainsi en sera t-il du modèle dont nous sommes les héritiers beaucoup moins lointains qu’on voudrait bien le croire.

En effet l’institution de l’asile se produit dans le cadre du projet de Pinel concernant le traitement moral, dont l’idée force résidait précisément dans l’organisation, au sein d’un espace clos, de la réintroduction des obligations sociales, identiques, à quelques lourdes exceptions près, à celles organisant l’ensemble du corps social. Conditionner les aliénés aux vertus morales devait être ce en quoi consistait le projet de guérison.

Dans ce contexte la répression des activités sexuelles sera à l’origine d’une surveillance constante.

Si cette répression s’appuie sur une morale prescrite par Pinel, elle s’inscrit dans un courant scientifique de l’époque qui trouvait dans le substrat biologique l’origine des déviations et des perversions sexuelles dans le contexte d’une théorie héréditaire de la maladie mentale.

« Quant aux voluptés sexuelles et au mariage, nous ne concevons pas qu’on puisse sérieusement les demander pour les aliénés. Sans reproduire ce qui a été dit des procréations héréditairement entachées qu’on doit empêcher à tout pris, qui ignore que ce spasme qu’on a comparé à une épilepsie passagère, et dont nous avons déjà signalé le danger est, en ce qui concerne la production ou de la cure de la folie, de toute les surexcitations cérébrales, la plus funeste ? » (P.Pinel)

Sexualité comme cause de folie, sexualité comme symptôme de folie à faire disparaître.

C’est sur ce socle que va se bâtir l’ordre sexuel des établissements de soins psychiatriques de notre modernité.

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Dans son histoire de la sexualité, il faut bien se souvenir que M. Foucault fait l’analyse que derrière le puissant mouvement d’apparente normalisation du puritanisme victorien issue d’une longue période où la définition de l’ordre sexuel avait été confisquée par le discours religieux ,s’organise aussi un puissant mouvement d’injonction visant à décrire dans le détail l’univers de la sexualité ( la volonté de savoir) que Foucault analyse comme effet de la mise en œuvre depuis la période classique de ce qu’il appelle un biopouvoir visant à organiser les conditions de la reproduction des générations ( pouvoir royal détenteur du pouvoir de mort puis du pouvoir sur la fabrication de la vie). Ainsi l’intérêt pour la connaissance et la maitrise des activités sexuelles ne va pas cesser depuis cette évolution.

Dans ce registre, l’abord du sexuel par la psychanalyse va donner un nouveau tour. En assignant un rôle fondamental au développement du sexuel dans la construction de la personnalité, elle réorganise la vision du rôle de la sexualité dans la réflexion sur l’origine des maladies mentales.

Cette perspective ne sera pas sans conséquences sur la modification contemporaine de la perception de la sexualité de manière générale même si pour les institutions de soins elle ne vaut guère que pour son utilité thérapeutique voire peut jouer un rôle péjoratif dans la valeur donnée aux manifestations de la sexualité dans la maladie mentale (sexualité infantile, immature, non génitale, etc.…).

L’évolution des discours sur la sexualité que nous évoquions à l’instant peut donner lieu à toutes les caricatures et lieux communs. Il est sans doute même aujourd’hui difficile de mesurer si de profondes mutations, où seulement quelques aménagements sociétaux, peuvent être le signe de l’organisation de nouveaux paradigmes. (Comme P. Qui gnard peut en signaler sans doute le dernier véritable avatar dans le monde romain). S’il parait difficile de conclure à partir d’une apparente modification dans la banalisation de l’accès à un certain érotisme, ou de la revendication socialement affichée dans les discours sur le « jouir sans entrave », on peut aussi noter que l’injonction à s’y soumettre organise une nouvelle normativité qui en constitue pourtant bien une et de taille, d’entrave, surtout quand le droit lui emboite le pas ( cf.une décision judiciaire concernant le nombre de rapports sexuels légitimement exigible dans la vie conjugale).

Peut être faut-il aller chercher plutôt du côté du cheminement de l’identité humaine dans le rapport à la question du sexuel et à sa différenciation, les linéaments possible de l’apparition d’un hypothétique nouveau paradigme. Les tensions éthiques issues des nouvelles technologies médicales et de leurs applications, là-aussi nécessairement portées par le droit, la place qui s’organise du côté des transsexualismes de tous poils, constitue un mouvement visant peut être à nier la différence elle-même, direction prise par la culture occidentale comme le souligne P. Legendre à plus d’une occasion. (Anecdote Danoise d’une école pratiquant le neutre pour s’adresser aux enfants ).

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Pour reprendre le fils de l’évolution de nos asiles, il est indéniable que les mouvements sociaux de l’après guerre sont à l’origine de nouveaux discours où il semble louable de condamner les hypocrisies du passé.

Dans nombres d’institutions, ces nouveaux discours vont se traduire par la mise en œuvre de la fin des séparations de genre.

Ainsi pour la psychiatrie, les années 70 vont voir progressivement la mixité s’installer (de même que pour l’école, l’armé, etc. …) comme le signe que cette institution doit se rapprocher plus encore des conditions sociales habituelles, voire devenir un levier thérapeutique supplémentaire (ou alors comme un nouvel élément de normalisation ?).Conjointement au projet de secteur qui cherche à faire évoluer l’asile dans le sens de son ouverture sur le monde.

Cependant cet élément objectivable, dans les faits, ne va, la plupart du temps, s’accompagner d’aucune production d’un discours collectif sur la sexualité des patients entrainant même une situation paradoxale où il continue d’être dit dans l’immense majorité des institutions de soin psychiatrique que l’expression de la sexualité demeure interdite, que le discours sur cette question est le plus souvent occulté tout en empêchant pas réellement ces pratiques puisque chacun sait qu’elles sont seulement camouflées. (D’ailleurs, situation paradoxale, on impose la contraception tout en interdisant les relations sexuelles).

De plus la sexualité entre patients est majoritairement connotée comme déviante ou infantile, elle apparaît souvent sous la forme de propos obscènes ou sous forme de plaisanteries, mais toujours de façon grotesque.

Il semblerait en effet qu’il y ait une bonne et une mauvaise sexualité. Une sexualité susceptible d’être tolérée malgré l’interdit (en général celle dont on peut espérer des bénéfices thérapeutiques cf les couples de patients sur lesquelles on projette une conjugalité socialisante) et une sexualité toute empreinte du caractère dévalorisant de la morbidité ou de son caractère infantile ou pervers.

Par ailleurs l’absence de réelles réflexions sur cette question, et par conséquent de sa quasi-totale absence de formulation dans les écrits définissant le fonctionnement institutionnel laisse à la fantasmatique soignante individuelle l’opportunité de placer le curseur. Et sur ce sujet on peut rappeler combien la proximité dans les attitudes, et les identifications possibles dont elles sont porteuses peuvent être à l’origine des comportements soignants les plus apparemment irrationnels. La question de la ressemblance est en effet un des principes qui structure la partie la plus immergée des relations soignants/soignés.

On le disait dès l’introduction de cette intervention, l’autre versant de cette question des rapports entre sexualité et institution concerne le droit et la judiciarisation progressive de domaines jusqu’alors préservés pour le meilleur et pour le pire.

Personne ne niera que la plupart des grandes institutions ont longtemps disposé d’une autonomie considérable concernant les champs d’application de la loi, s’octroyant de fait un domaine réservé par une sorte de consensus social. L’armée, l’éducation, la famille, les mouvements religieux, les institutions de soin, étaient structurés par des dispositions spécifiques qu’ils justifiaient à la foi par leur situation d’expert mais aussi par la légitimité de leurs missions supportées par leur objet spécifique.

Au demeurant cette autonomie a longtemps porté sur le sort réservé non seulement au découpage de la sexuation mais aussi à l’ordre sexuel mis en place.

Ainsi la quasi-totalité des transgressions à cet ordre relevait directement du fonctionnement interne de chaque institution. Les institutions s’y retrouvaient de fait dans les positions multiples de législateur, juge et partie. Cette position de toute puissance est sans doute un élément qui a beaucoup concouru au travail d’occultation dont se sont fait l’écho quelques grands scandales modernes (en cours encore pour certains).

La répression de la sexualité est sans doute à la mesure des désirs qu’il y a lieu de contenir.

[Le paysage de la répression sexuelle n’est jamais que la marque du façonnement que l’activité sismique du sexuel y imprime.] C.Rabant.(citation approximative)

On peut sans doute maintenant mesurer quel choc a constitué pour certaines institutions l’exfiltration judiciaire de ce qui en constituait le domaine réservé. (Exemple, l’affaire d’Angers en 1995).

La fin du 20ème siècle a été clairement à l’origine d’une mise en cause des grandes institutions à la fois dans leur légitimité mais aussi dans leur autonomie.

Comme l’a montré M. Gauchet à propos de l’institution éducative, la recrudescence d’une revendication de liberté individuelle peut mettre en cause pour soi la légitimité d’une institution, critiquée par ailleurs pour son manque de fermeté…pour les autres.

Cette revendication s’est affirmée au travers de la recherche d’un tiers acteur à même d’en contre balancer la toute puissance. La justice s’est retrouvée saisie et enjointe d’arbitrer, comme on le voit de plus en plus, les conflits et transgressions que les institutions avaient coutume de régler en leur sein profitant du consensus social qui légitimait leurs prérogatives.

Or les institutions ne peuvent pour exister que flirter avec le droit commun et là réside le paradoxe.

En effet en tant qu’elles sont le lieu de production de la transgression par le fait même qu’elles se proposent d’y remédier ; transgression liées à l’apprentissage éducatif, transgression liées à l’expression de la maladie mentale, c’est leur objet même que d’être confronté aux réponses à donner en raison de la mission que l’état leur assigne.

Déposséder les institutions de la délégation d’un pouvoir de sanction de la transgression revient à les déposséder de leur objet même.

C’est bien pourquoi toutes les affaires judiciaires concernant les interstices [scène institutionnelle/ scène publique] sont si sensibles car elles mettent en jeu la crédibilité même des missions que l’état délègue.

Pour ce que j’en sais l’hôpital est un haut lieu de transgression. La carrière d’un soignant est ponctuée des situations multiples vis-à-vis desquelles il pourrait en référer sans cesse lui-même à la justice commune. L’enjeu d’une telle perspective serait d’être dépossédé ou décrédibilisé dans sa fonction.

On a dit ailleurs que l’institution psychiatrique devenait poreuse au sens où son ouverture encore récente la met sous le regard d’autres acteurs sociaux voire même sous la lumière des projecteurs parfois malsains ou criminalisant de la société toute entière. La délégation à d’autres de la contrainte que requiert parfois l’expression violente de l’angoisse signerait un échec de ce qui fait la spécifité de l’approche des soignants qui s’appuie avant tout sur l’aptitude à comprendre ,à anticiper mais aussi à contenir ces manifestations des troubles psychiques aigus.

Actuellement le danger réside peut être dans une autre logique qui au nom du risque zéro, du principe de précaution organise en cascade une sur-responsabilisation individuelle qui fait de plus en plus peser sur chacun la menace d’une irruption contraignante de l’extérieur.

La place des transgressions qui concernent l’expression de la sexualité, est une problématique complexe constamment bordée par la relativité des jugements moraux qui l’accompagnent, par l’interprétation qu’en fait le droit , mais aussi par l’horizon souvent troublé des désordres psychiques qui font la part belle aux montages fantasmatiques.

Les drames et les errements récents de la justice qui n’a vraiment commencé à se coltiner avec les révélations de la pédophilie que depuis une trentaine d’années, nous ont appris combien l’intrication entre fantasme et réalité pouvait être à l’origine de graves dérives.

Un classique mouvement de balancier a tout d’abord sur crédibilisé la parole des victimes sans s’arrêter sur la complexité du monde psychique de l’enfance. Il en est peut-être aujourd’hui de même quand la revendication des droits des patients n’est pas aussi comprise comme un appel à la réparation d’autres préjudices qui se sont joués sur d’autres scènes.

L’appel à la loi peut toujours aussi être entendu du côté de ce qui a été forclos quand il fait écho à un grave trouble de la structuration psychique.

Mais il y a lieu d’avouer qu’il est arrivé aussi que l’institution soit défaillante dans le rôle qui lui incombe d’avoir à protéger ceux qui doivent l’être , et la référence possible à un tiers juridique qui vient s’opposer aux mécanismes de défense institutionnels anciens et qui souvent perdurent , permet de restituer une place au discours des patients , et être d’une grande utilité thérapeutique.

Mais on le voit, judiciariser l’espace de soin comporte de nombreux aléas.

Les soignants sont censés être dépositaires de la loi commune au même titre que chaque citoyen, on peut même aller jusqu’à dire qu’il représente en tant qu’il négocie convenablement la distance thérapeutique l’interdit fondamental de l’inceste qui, dans la différence qu’il établit par la loi qu’il institut, organise le champ des relations inter humaines dont l’institution reproduit le découpage.

C’est même ce qui spécifie structurellement la relation thérapeutique de façon radicale et qui en fait un potentiel levier thérapeutique puissant quand nous avons à faire à ce qui justement fait problème le plus souvent dans la désorganisation psychique à laquelle nous sommes confrontés.

Au moins, cette nécessité, lorsqu’elle est entendue, permet, pour ce qu’il en est du champ du soin psychique, de renvoyer la question obscène des aidants sexuels au rayon des accessoires de l’imbécilité, soit dit en passant.